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Ce que dit Rose
2 décembre 2007

Retour en Normandie

Il faut croire qu’il est difficile de couper les ponts avec la Normandie, comme l’affirme d’ailleurs la célèbre rengaine « J’irai revoir ma Normandie(-e), c’est le pay(y)s qui m’a donné le jour » (merci, Frédéric Bérat).
C’est la même chose pour Nicolas Philibert, le réalisateur d’« Être et avoir ». Fraîchement débarqué dans le monde du cinéma, il a été l’assistant de René Allio lors du tournage de « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur, mon frère », film que le réalisateur avait décidé de tourner sur les lieux de ce fait divers vieux de plus d’un siècle (en Normandie, donc), avec des acteurs recrutés dans les environs.
Trente ans plus tard, le voilà de retour au village, pour interroger ceux qui sortirent quelques trois mois de leur quotidien pour s’interroger sur ces ancêtres victimes ou criminels, et les interpréter.
D’emblée, le film nous plonge dans la réalité du monde paysan : une truie met bas, nous voyons les porcelets s’extraire de leur poche, rechercher aveuglément leur mère, l’un manque même mourir. C’est aussi une façon, par métaphore, d’ouvrir ce film sur un autre film qui a eu du mal à naître (faute de financements…). On retrouve immédiatement la délicatesse, l’attention au spectacle du monde du cinéaste d’« Être et avoir », qui regardait onduler les arbres sous les souffles du vent et faisait sentir le rythme des saisons.
Le film ne cesse cette fois de chercher à tisser des liens, à créer des passerelles entre toutes ces histoires : le crime de Pierre Rivière, qu’il expliqua longuement dans un mémoire dont la caméra survole les pages et qui fut étudié par Michel Foucault (lequel avait d’ailleurs un petit rôle dans le film, coupé au montage) ; le tournage de 1975 ; la vie de ses interprètes. Le film musarde, interroge des apprentis-acteurs tantôt impressionnés, tantôt émus, tantôt rigolards (la famille de « l’amant » de la mère de Rivière s’amuse du choix du réalisateur ; le père, au bon visage bonhomme, n’a pas vraiment une « tête d’amant » selon eux !). Part sur d’autres pistes, et récolte souvent des scènes émouvantes. Ménage certains mystères, comme la présence de cet éleveur de cochons muet au sujet duquel on apprend à la fin du film que ses scènes ont été coupées au montage, ou comme le destin de Claude Hébert, qui joue Pierre Rivière et que certains croient mort ; sa réapparition est l’une des plus belles surprises du film.
Un film qui avance souvent par métaphore, comme lorsque nous regardons l’un des paysans tuer le cochon, geste ancestral, dont il est fier, mais qui fait écho à cet instant à la violence de Pierre Rivière tuant sa sœur…
La plus belle scène vient cependant à la fin quand le cinéaste exhume une bobine particulièrement importante pour lui, une scène administrative, coupée au montage, muette (car le doublage son ne fut pas réalisé) : une scène jouée par son père, récemment disparu, à nouveau vivant dans cette image pourtant étrange (ses lèvres bougent sans émettre aucun son, il porte un costume suranné…).
C’est certes un film moins cohérent qu’« Être et avoir » (centré sur les figures du maître et du petit Jojo), un film qui va son chemin à l’aventure, mais une bien jolie aventure, tout de même !
Si vous aimez les paysans normands gouailleurs, je vous conseille encore "Les Terriens" d’Ariane Doublet, un autre documentaire-culte où la réalisatrice suit quelques personnages envahis par de bien étranges Martiens armés de lunettes noires et de tentes, attirés par l’éclipse de la fin des années 90, particulièrement nette vue de leur petite commune. .. La documentariste est d’ailleurs revenue quelques années plus tard sur les lieux, nouvelle preuve que le Normand ne se laisse pas facilement oublier.
Pour terminer, je déclare « Retour en Normandie » film à chat (un beau spécimen alangui devant le feu tandis que le réalisateur recueille les confidences de ses maîtres) : un chat très crédible !

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Commentaires
R
Bienvenue Dasola, je te le conseille vivement ! (moi il me reste à faire le chemin inverse et à voir le film d'Allio)
D
J'ai vu récemment la reprise de "Moi, Pierre Rivière..." J'ai trouvé ce film sensationnel et dans le même temps, j'ai appris que Nicolas Philibert avait fait ce documentaire "Retour en Normandie" avec les acteurs 25 ans après. Je ne l'ai pas encore vu, mais je compte bien le faire, "Etre et avoir" étant une grande réussite.
R
Pour Pierre Rivière, il semble qu'il ait voulu libérer son père d'une épouse qui le trompait, le dominait... La grande question du procès était de savoir s'il était responsable de ses actes. <br /> Les écrivains normands ont effectivement beaucoup mis en scène des provinciaux proches de leurs intérêts, vaguement criminels... Tiens, ce serait intéressant de regarder ça de plus près !
L
Comme beaucoup j'avais bien aimé "Etre et avoir". Vraiment magnifique.<br /> Décidément la Normandie est une région "tragique". Même histoire, il y a quelques années, incompréhensible aussi. Et comment ne pas penser à la lecture de ton billet à Maupassant...
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