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Ce que dit Rose
17 février 2008

Carême contre Mardi-Gras – repas dominical 19

On est en plein Carême… Est-ce une raison pour se priver de petites anecdotes littéraires ?
Mettons-nous sous la dent cette semaine un monstre peu appétissant dépeint dans son Quart Livre par Rabelais : il s’appelle justement… Quaresmeprenant
Ce volume est un récit de voyage parodique sur les traces de Pantagruel et de son ami Panurge, et c’est au cours de ce périple que nos héros passent au large de Lanternois, où règne ledit Quaresmeprenant ; on ne s’y arrête pas, car l’un des voyageurs le décrit comme un être bien triste, grand avaleur de pois secs, mangeur de poisson et d’escargots, « dictateur de Moustardois » (car la moutarde « remplaçait » le goût de la viande pendant Carême), dont les brochettes sont faites de cottes de maille et de casques, ce qui ne peut manquer de rendre malade. Et en plus il s’habille en gris.

Cependant Pantagruel, avec l’appétit d’un humaniste, est avide d’en savoir plus et Xénomanes, celui qui a déjà vu Quaresmeprenant, se lance dans une description-liste sur trois chapitres ! Cela commence par une description physique et rappelons-nous que Rabelais était médecin ; nous voilà plongés dans les additamens mamillaires, les os pétreux et les excrescences vermiformes ! Mais Quaresmeprenant est un monstre : impossible de le décrire scientifiquement, on ne peut que l’approcher, grâce aux comparaisons… et il se révèle alors savoureux :
Les amygdales, dit Rabelais, il les a comme lunettes à un œil.
Le diaphragme, comme un bonnet à la coquarde.
Les rognons, comme une truelle.
Les cartilages, comme une tortue de guarrigues…
Mais bientôt cette description clinique devient plus abstraite :
L’imagination, comme un carillonnement de cloches.
Les pensées, comme un vol d’étourneaux.
Les intelligence, comme limaces sortant des fraires.
Le jugement, comme un chaussepied.
La raison, comme un tabouret.
Les images surgissent, absurdes, et creusent peu à peu le personnage, qui, parties internes comme parties externes, n’est que déformation, laideur et vide. (Et par opposition, la langue de Rabelais est toute en abondance et en plaisir.)

Pour varier le portrait, Xénomanes le peint en action selon le même principe de la litanie et nous compose un menu peu ragoûtant :
S’il toussait, c’étaient boîtes de coudignac (confiture de coing).
S’il soupirait, c’étaient langues de bœuf fumées.
S’il clignait des yeux, c’étaient gaufres et oublies.
S’il grondait, c’étaient chats de Mars (mais que font-ils là ?).
S’il fiantait, c’étaient potirons et morilles…
S’il discourait, c’étaient neiges d’antan.
Alors qui veut faire Carême ?

Et bien sûr, ce monstre répugnant et stupide est l’ennemi juré de ses voisines les Andouilles, qui s’en prendront d’ailleurs à Pantagruel et à sa suite, et le combat ne cessera qu’avec l’apparition d’un pourceau ailé, apaisant la querelle dans des pluies de moutarde… mais c’est une autre histoire.

Que ce mangeur de pois secs ne vous détourne pas pour autant des bonnes soupes d’hiver, par exemple une soupe de lentilles corail avec de la cardamome et du jus de pamplemousse… ou des lentilles vertes au raifort, avec quelques pignons grillés… ou la soupe proposée il y a quelques jours par Vanessa

Pour finir, un portrait de Gargantua par Gustave Doré : un géant, ça mange énormément !

gargantuasource

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Commentaires
R
Rabelais est souvent très savoureux ! Et cet avaleur de pois secs m'a immédiatement fait penser à cette recette de lentilles... c'est bon, tout de même !
V
J'adore....un portrait tellement visuel... Je ne savais pas que Rabelais était médecin...et j'avais éperdument oublié ces personnages trop "monstreux" et d'une langue autre. Merci de m'avoir donné envie de m'y replonger...et merci du clin d'oeil...je repars dans mes fourneaux pour une soupe à l'oseille (si possible cette semaine!).
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