Gâteau pour prince, comme dans les contes – repas dominical 21

Dans « Peau d’Âne », le prince amoureux et mélancolique fait un caprice, que sa mère inquiète ne peut que chercher à exaucer : il veut un gâteau, un gâteau fait par Peau d’Âne, la plus « noire taupe » que la terre ait portée. « Cette fille doit être fine pâtissière », commente la mère du prince dans la version de Jacques Demy, une réplique pleine de fine psychologie qui m’a toujours fait sourire. Si Perrault, peu pâtissier, laisse planer un certain mystère sur la recette adoptée par Peau d’Âne (de la farine finement « blutée », des œufs frais, du sel et du beurre, et puis Peau d’Âne s’enferme pour garder ses secrets de fabrication), Jacques Demy ne se prive pas pour inventer une recette à ce fameux « cake d’amour ». Cette recette a fait rêver toutes les cuisinières et se trouve même retranscrite sur Marmiton, mais elle ne semble pas faire l’unanimité : un peu trop liquide, elle ne donnerait pas le gâteau fumant qu’emportent les serviteurs du prince, et un flan paraît moins indiqué pour cacher une bague. Qu’à cela ne tienne ! A l’occasion de la restauration du film de Jacques Demy, Pierre Hermé s’est penché sérieusement sur la question et a proposé une recette de « cake du bonheur » inspiré du cake d’amour.

Recette répertoriée dans un volume des éditions de l’Epure « Le rose, dix façons de la préparer », un peu modifiée par mes soins, non pour l’améliorer (impossible !) ni par rébellion, mais pour coller avec les ingrédients dont je disposais :

Il faut bien sûr allumer votre four (à 180°), et disposer de deux jattes pas vraiment plates ; dans l’une vous mélangerez la farine « blutée » (80 g) avec un sachet de poudre d’amandes ou même deux et du sucre (100g), dans l’autre du lait (25 cl) et de l’eau de rose (dans la recette originale du sirop de rose, ce qui serait mieux car mon eau de rose ne se sentait pas vraiment).
Faites mousser 150 g de beurre et mêlez-le au contenu de la 1e jatte, ainsi que 3 jaunes d’œufs et 1 œuf entier (qu’ils soient du matin frais, à vérifier sur votre barquette !). C’est alors que la jatte laiteuse et rosée est à verser dans le mélange précédent. Après cela, montez les 3 blancs en neige et incorporez-les délicatement.
Là, Pierre Hermé ajoute un peu de rose, sous la forme de framboises fraîches, et une fois le gâteau cuit, il le parsème d’éclats de pralines et de pétales de roses cristallisés dans du sucre.
Comme ce n’est pas la saison des framboises et que je ne suis pas fine confiseuse, j’ai condensé ces étapes en plongeant des pralines dans ma pâte. Tandis que le gâteau cuit, le sucre rose fond et révèle des cœurs empourprés sous la croûte brune du gâteau.

Qu’en a dit celui qui dégusta le « cake du bonheur » ? « Tu devrais mettre plus de pralines » ! Imagine-t-on Peau d’Âne sortir toute sa boîte à bijoux et faire tomber une bague sur chaque part, pour être sûre que le prince tombe dessus ? Non, ce serait indigne d’une héroïne.

(photo floue et pas jolie du tout de la merveille, prouvant aussi que je n'ai pas fait un cake mais bien un gâteau, comme dans "Peau d'Âne")

Même d’une héroïne aussi décidée que la « Peau d’Âne » de Demy qui, lassée des moqueries des garçons de ferme, affirme que si aucun prince charmant ne se présente, elle ira en chercher un elle-même ! Pour l’héroïne de Perrault, un doute plane : cette bague oubliée est-elle volontairement laissée dans le gâteau ou non ? c’est bien possible, mais ce n’est pas sûr (les filles sont malignes).

En tout cas, cette « Peau d’Âne »-là n’avait pas un prétendant beaucoup plus romantique que le mien :  séduit par ce qu’il a vu par le trou de la serrure de la masure de Peau d’Âne, il se jette sur le gâteau qu’elle lui a confectionné comme le loup sur le petit Chaperon rouge et manque avaler la bague (ce que fait l’une des héroïnes de « Tout le monde dit I love you » de Woody Allen, les bagues dans les gâteaux et les idées romantiques pouvant être ravageuses) ; il n’a pas le charme gamin de Jacques Perrin, qui forme avec Catherine Deneuve un couple de grands enfants qui rêve de « se gaver de pâtisseries » toute leur vie : ce serait ça, le bonheur !

Ce livre sur le rose est écrit par Frédérick e. Grasser Hermé, et il est rédigé de façon fort amusante. Merci à Patoumi, fidèle lectrice des éditions de l’Epure !

Comments

[rose]

Merci Vanessa ! et j'aime bien cette petite série de billets sur Peau d'âne chez toi et chez lily (quelles correspondances !)

[VanessaV]

Oh oui, je savais bien que le gâteau d'amour pouvait produir chez toi un billet superbe. C'est le cas! J'aime beaucoup cette version revisité rose ou à la rose...et ta version de Peau d'ane me plait bien!

[rose]

Moi je penche pour l'acte volontaire (mais c'est de bonne guerre vu tout ce qu'elle doit subir, et c'est une fille décidée). Pas de problème pour Kitchen, je me suis lancée dans un Donna Tartt, j'ai quelques heures de lecture devant moi ! :)

[lily]

ah le gâteau d'amour de Peau d'Ane :))
Et a-t-elle laissé tomber sa bague, ou a-t-elle glissé de son doigt... (moi je penche pour l'acte involontaire ;)
Merci Rose pour ce joli billet.
PS Kitchen est prêt à partir mais pas eu le temps vendredi d'aller à la Poste, la semaine prochaine sûrement :)

[rose]

J'aime beaucoup cette chanson aussi, justement parce que ce sont des rêves d'enfant et qu'ils ont un petit côté suranné (qui parle encore de buvette aujourd'hui ?), mais en fait je trouve toutes les chansons délicieuses, la leçon d'ethno-psychologie de la fée comme les insultes des garçons de ferme. Je connais aussi ce film de Pascale Ferran, mais je ne me rappelle pas cette séquence (en fait je sais qu'il m'avait beaucoup plu, mais le seul personnage qui me revienne en mémoire est la fille qui travaille dans un fast-food et ne supporte pas de garder cette odeur de friture sur elle ; c'est peu, et je me demande bien pourquoi).