L’autre pays de la science-fiction
En arrivant là-bas, j’avais en tête les alpages dans lesquels Heidi entraîne son amie de la ville (Clara, non ?), vers le chalet du grand-père ; je me souvenais des promenades de Jean-Jacques Rousseau pour herboriser et rêver, promenades qui le rendaient si heureux et que je situais sur les bords du lac de Neuchâtel, alors qu’en fait il s’agit du lac de Bienne (quelle déception !) ; d’autres souvenirs revenaient : l’atroce gage infligé lors d’une orgie de fondue dans un volume d’Astérix (qui racontait aussi, me semble-t-il, une nuit passée dans un coffre-fort de banque suisse, étroit et mal éclairé). En passant la frontière, c’est à Jean-Claude Romand que je pensais, et à ses journées creuses, ses départs au petit matin vers un bureau genevois imaginaire (mais dont il désigna quand même la fenêtre à ses enfants, un dimanche, lors d’une promenade), et ses escapades sur les routes du Jura, vers les étendues neigeuses où il avait commencé à se perdre, encore enfant, telles que les raconte Emmanuel Carrère dans L’Adversaire.
La Suisse avait bien ce visage riant et champêtre des clichés de cartes postales, mais cachaient aussi sous ses prairies des territoires plus inquiétants…
Le pôle Nord, par exemple. A Yverdon-les-Bains, sur la grand-place, s’ouvre une Maison d’Ailleurs, passerelle directe vers la science-fiction. Elle présentait alors une exposition « pôlémique », où l’on découvrait d’abord comment les hommes avaient imaginé les pôles : lieux de perfection pour les Anciens, ils devenaient un espace à conquérir au 19e siècle, rendu dangereux par divers obstacles fantasmés : les ours blancs agressifs, les reines des Neiges cruelles, ou les dinosaures qui y auraient survécu.
Mais le plus passionnant était de découvrir les conditions réelles de la conquête des pôles : toute une histoire, avec ses succès trompeurs (les photographies envoyées pour attester de la conquête du pôle nord sont un peu mises en scène) et ses vraies tragédies (tous ces bateaux pris dans les glaces, dont l’équipage ne regagna pas la terre ferme), toute une épopée en bateau, à pied avec hivernage, en avion et en dirigeable.
Dans une autre petite bourgade tout aussi tranquille, quelques salles sombres retraçaient la carrière de HR Giger, le père des Aliens contre lesquels Sigourney Weaver lutta avec des succès divers. On peut y contempler les esquisses de ces monstres à multiples bouches, annotées par le créateur : « je pourrais tuer le public quand il ferme les yeux sur les meilleures scènes »…
Aussi me suis-je mise au diapason ; j’ai lu de la science-fiction.