La cour au lycée
J’adore La Princesse de Clèves, roman riche de nombreuses scènes formidables (ah le vol du portrait qu’on ne peut ni dénoncer ni taire, les rêveries de la princesse retirée à la campagne, l’aveu au mari écouté par l’aimé…) ; roman qui a subi ces derniers mois divers assauts présidentiels : il ne servirait à rien de lire Madame de La Fayette dans le monde d’aujourd’hui (surtout pour devenir fonctionnaire).
Christophe Honoré, le cinéaste encensé des « Chansons d’amour », s’est proposé de montrer son actualité, sa nécessité, en transposant l’intrigue de cour dans un lycée parisien. Madame de La Fayette, Christophe Honoré, l’équipe était surprenante mais pleine de promesses. Hélas, l’adaptation, « La belle personne », n’est pas à la hauteur du modèle (était-ce possible ?).
Je passe sur les défauts techniques : c’est vrai qu’on entend souvent mal les dialogues, murmurés ou grommelés par les acteurs. Mais l’essentiel n’est pas là.
La déception vient d’abord du fait que l’histoire de Madame de Clèves n’est tout simplement pas crédible telle qu’elle est présentée ; peut-on imaginer une jeune fille de 18 ans renoncer pour toujours à l’amour car elle n’en supporte pas la possible corruption ? La Princesse, elle, était veuve (quoique jeune encore) à la fin du roman et pouvait se retirer du monde… Difficile d’envisager une vie de recluse pour la jeune Junie.
De plus, Christophe Honoré tente de représenter la cour idéalisée du roman de Madame de La Fayette par une jeunesse en quelque sorte « atemporelle ». Je veux dire que l’on est bien dans les années 2000 (encore que Junie Dechartres refuse le portable), mais les coiffures, les vêtements, les rites scolaires renvoient aux années 70. Ces cours que l’on sèche pour une peine de cœur, ces textes étrangers que l’on traduit après les avoir écoutés sur de vieux magnéto hors d’âge, ces jeunes profs séduisants usant de leur ascendant sur des élèves énamourées, ces élèves brillants faisant des exposés sur de grandes figures de l’opéra... Ce flou temporel est un choix ; mais il contribue à la faible crédibilité de l’ensemble. Certains critiques ont eu beau jeu de comparer « Une belle personne » à la palme d’or « Entre les murs ». On voit bien que le but d’Honoré n’est pas de rendre compte d’une quelconque réalité scolaire, mais là l’écart est tel qu’il devient gênant.
Il faut dire encore que l’action du roman de Madame de La Fayette est tout intérieure. Donc difficile à montrer, ce que le cinéaste tente de résoudre en multipliant les doubles pour la Princesse, en convoquant de nombreuses références littéraires ou musicales, des plus sérieuses (la Junie de Racine, Lucia de Lamermoor, l’apparition de Chiara Mastroianni qui a joué le rôle de la Pincesse de Clèves dans un film de Manoel de Oliveira) aux plus fantaisistes (la traduction de « Sarà perche ti amo », la chanson sautillante de « L’effrontée »).
Et pire encore, il s’auto-cite : en faisant chanter sa peine à Otto, le jeune double de Monsieur de Clèves, comme dans « Les chansons d’amour », mais surtout en reprenant certains procédés de son film précédent (« Dans Paris », que je préfère aux « Chansons d’amour »). Le héros, déprimé par une rupture, reprenait vie en réécoutant une chanson oubliée de Kim Wilde et en relisant avec son frère un album de Grégoire Solotareff. Ici il y a encore quelques chansons décisives, et un album (de Tomi Ungerer) offert par Junie à son amoureux Otto.
C’est dommage, cette rencontre manquée. Madame de Clèves, classique, intemporelle, est décidément trop subtile pour notre époque.
Question « film d’école (ou presque) », j’ai été plus enthousiasmée par le téléfilm « New Wave » réalisé par Gaël Morel (qui a déjà travaillé avec Christophe Honoré ; son film précédent, « Après lui » avec Catherine Deneuve, est sorti en même temps que « les Chansons d’amour », le scénario était cosigné par Honoré (et son sujet était le deuil, comme les « Chansons ») ; un film que j’avais beaucoup aimé). Le film raconte la naissance d’une vocation de cinéaste, dans un collège de campagne, sur les traces d’un camarade au sort tragique. Il est associé à un projet particulier : un roman adapté du scénario est sorti pour la rentrée littéraire. Clarabel en parle ici.