Un an
Un curieux Echenoz (un auteur que je n’avais jamais lu) : Un an raconte l’errance de Victoire, de Paris qu’elle quitte en février à Paris qu’elle rejoint en stop presqu’un an après. Entretemps, elle a perdu son argent et découvert le quotidien des exclus de la société.
Curieux roman par ses personnages : Victoire s’en va, sous le coup d’une culpabilité vague (elle s’est réveillée aux côtés de Félix mort, et ne peut s’expliquer ce qui lui est arrivé), et porte un prénom bien étrange pour une héroïne qui sombre ; le roman est entrecoupé des apparitions d’un certain Louis-Philippe, qui semble toujours parvenir à retrouver l’héroïne et qui se révèle mort à la fin ; d’ailleurs, Félix… ; et d’autres personnages ne sont désignés que par des surnoms (Gore-Tex) ou des noms qui ne leur conviennent pas (Poussin).
Curieux aussi parce qu’il nous entraîne de société en société, à la suite de Victoire : d’abord choyée par une propriétaire peu regardante dont les mouvements se suspendent au-dessus des objets, comme pour ne pas les toucher, elle devient presque membre d’un groupe de jeunes avec ses rivalités, puis expérimente la vie solitaire et presque sauvage à vélo dans la campagne, puis s’associe à un couple de SDF doux avant d’être recueillie par un couple homosexuel en rupture avec la société… En train, en stop, à pied, à vélo, Victoire arpente le sud de la France, instable, sans but, et certains bas-fonds contemporains, nés de la pauvreté.
Pour unifier tout cela (ou pas), il y a la langue étrange d’Echenoz, à la fois précieuse, précise et pleine de ruptures de tons, dont l’évocation des deux hommes des bois donnerait un bon aperçu : « La voix de Castel était un peu cassée, lyophilisée, sèche comme un échappement de moteur froid, quand celle de Poussin sonnait tout en rondeur et lubrifiée, ses participes glissant et patinant comme des soupapes, ses compléments d’objet dérapant dans l’huile. »
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Il y a un an c’était la silhouette de Michael Jackson inanimé qui s’affichait sur tous les écrans ; je serais à peine surprise s’il réapparaissait, comme Félix, comme si de rien n’était.
Il y a un an, juin au jardin à cueillir des framboises.