Comment j’ai repoussé un garçon d’Italie
Je n’avais jamais lu Philippe Besson, et, pour une raison mystérieuse, j’avais décidé de le découvrir grâce à Un garçon d’Italie. A cause de l’autoportrait (supposé) de Filippino Lippi en couverture (beau visage presque féminin, le portrait craché de l’un des personnages du roman) ? Parce qu’un mort nous parle pendant une bonne partie du livre (j’aime les fantômes et les histoires de disparition) ? Parce que cela se passe à Florence, « ville des princes et des énigmes », dit la quatrième de couverture (belle formule de guide de voyage) ?
Eh bien voilà, j’ai lu ce roman assez court sans déplaisir, mais avec la sensation désagréable de perdre mon temps.
L’histoire tient en deux lignes : Luca Salieri est mort (à Florence, donc) ; et nous allons partager le deuil de deux êtres : sa compagne, Anna Morante, et son amant, Leo Bertina, beau comme Filippino Lippi.
Le plus difficile, ça va être pour Anna (le livre le souligne jusqu’à satiété), car elle ne sait rien de la liaison de Luca avec Leo, par ailleurs jeune prostitué de la gare Santa Maria Novella.
A ce chemin de croix (c’est ce qu’on nous répète, mais Anna, dans sa rigueur et son aveuglement, nous reste assez étrangère), s’ajoute une pseudo-enquête sur le décès de Luca ; que s’est-il passé ? un assassinat ? un suicide ? La fin n’apporte rien de vraiment renversant sur ce mystère.
Le mort nous parle (entre autres). Le problème est que ce mort n’est pas très crédible ; au début il ne sait pas qu’il est mort, et fait des commentaires presque humoristiques sur les médecins légistes et autres thanatopracteurs. Ensuite, lors de la cérémonie, il regrette de ne rien voir de l’assemblée, étant donné sa place, mais cela ne l’empêche pas d’observer Anna et Leo au cimetière, et de se lancer dans des considérations sur ce qui va arriver, ce que devra encaisser Anna, etc etc…
Ca se passe à Florence. Oui. Les personnages ont des noms italiens et la gare s’appelle Santa Maria Novella (et Luca supporte l’équipe de foot locale), mais sinon ça pourrait se passer dans mille autres endroits. Ah si, la cérémonie a lieu dans la Chapelle Brancacci et le mort nous gratifie d’un petit rappel sur les fresques du lieu, « la vie de saint Pierre en bande dessinée » , « le cri silencieux d’Eve chassée du Paradis », etc etc…
Bon bref. Ce que j’ai bien aimé, ce sont les citations de Pavese en exergue des trois parties.
En fait de garçon d’Italie et de Florentin, je vous conseille plutôt Dante Alighieri.
Lui aussi souffre d’un amour perdu : Béatrice, dont il est tombé amoureux à neuf ans, est morte. C’est elle qui fait appel à Virgile pour qu’il soit le guide de son ami, de l’Enfer vers le Paradis. Voilà pour l’apparition fantômatique. Commence alors un périple autrement palpitant, au milieu d’abord des amants morts, comme les célèbres Paolo et Francesca qui racontent au visiteur leur histoire en ces mots si simples : « Nous lisions un jour, pour nous divertir, le roman de Lancelot, et comment il s’éprit de Guenièvre, l’épouse du roi Arthur. Nous étions seuls et ne savions pas encore que nous nous aimions. Plusieurs fois, la lecture nous fit lever les yeux et pâlir ensemble. Mais, lorsque nous arrivâmes au passage où Lancelot embrasse Guenièvre, Paolo, qui restera éternellement auprès de moi, me baisa la bouche tout tremblant. Ce jour-là, nous ne lûmes pas plus loin. » Voilà pour l’analyse si délicate des sentiments. (De l’érotisme de la lecture…)
Paolo et Francesca selon Ingres (Wikipédia)
Le revenant n’est-il pas finalement une figure plus cinématographique que littéraire ? Si les nouvelles fantastiques mettant en scène une morte amoureuse font naître d’agréables frissons, il me semble que bien des films ont exprimé avec une grande efficacité cette sensation que l’être perdu est là et ont épousé la « folie » du survivant en deuil ; je pense au magnifique « Sous le sable » de François Ozon dont le sujet est comparable mais le traitement autrement plus poignant. Je pense aussi aux « Chansons d’amour », film de deuil douloureusement joyeux révélant la même confusion des sentiments que le roman de Philippe Besson.
(Et dans ma voiture-cabane, j’écoutais, ce soir, Ludivine Sagnier reprocher doucement d’outre-tombe à Louis Garrel : « Pourquoi viens-tu si tard ? »)
Béatrice et Dante au Paradis, par Gustave Doré (Wikipédia)