Qui a encore peur des spectres ?
Peut-être n’aurais-je pas dû en commencer la lecture un début d’après-midi ensoleillé ; toujours est-il que «le château d’Otrante » d’Horace Walpole m’a paru s’affadir peu à peu et tomber en poussière comme un vampire exposé trop longtemps à la lumière du soleil.
L’histoire se lit sans déplaisir : une prophétie obscure annonce la déchéance du Prince d’Otrante, qui ne serait qu’un usurpateur. Pressé de marier son unique héritier (car il ne montre que peu d’intérêt pour son héritière, Mathilde, pourtant dotée de toutes les perfections), il ne peut que frissonner (et enrager) devant le plus monstrueux des prodiges : son fils, qui s’acheminait vers l’église, a été écrasé par un gigantesque heaume venu d’on ne sait où. Ce n’est que le premier avertissement du ciel, qui, on le devine, machine sa ruine complète…
L’intérêt de ce « Château » est surtout qu’il s’agit du premier roman noir, exposant les motifs que développeront avec plus d’habileté Ann Radcliffe ou surtout Matthew Gregory Lewis dont j’avais adoré « Le Moine ». L’ambiance est médiévale, époque croisades ; les prodiges surviennent sans qu’on puisse les mettre en doute (donc on n’a pas tellement peur, puisque l’angoisse naît plutôt de ce qu’on ne comprend pas), sont assez lourdement symboliques (la statue qui saigne…) ; les femmes s’évanouissent et ne trouvent leur salut que dans la fuite au couvent (quand elles ne se sacrifient pas face aux excentricités masculines, ce qui est un petit peu agaçant) ; on trouve un grand seigneur méchant homme, un moine, un apprenti chevalier. Cette débauche de vices achevés et de vertus accomplies n’est pas vraiment troublante ; mais j’ai bien aimé l’histoire d’amour ébauchée dans la deuxième partie (je n’ai pas complètement un cœur de pierre).
Une lecture pour savoir comment tout a commencé et pour participer aux lectures gothiques proposées par Lou et Malice, mais qui ne détrône pas mon « Moine » favori (ah ! les moines impurs ! les religieuses ensevelies vivantes… c’est tout de même autre chose).
Je constate pour finir que si le roman gothique est né en Angleterre, les châteaux maléfiques sont plutôt italiens : Otrante, Udolphe, autant de sombres forteresses-labyrinthes fatales aux héroïnes fragiles. Si je me souviens bien, le « Moine » de Lewis se déroule en Espagne. Doit-on en déduire que les passions ténébreuses qui animent les personnages semblent plus seyantes sur des héros méditerranéens ? La religion joue souvent aussi un rôle important : le fameux pacte avec le démon… le roman gothique met-il en scène les dérives du catholicisme, avec ses moines paillards cédant à toutes les tentations ? Tient-il à distance ces sinistres démons en les situant loin, bien loin de l’honorable Angleterre ?
Voilà les questions qui me venaient en suivant placidement les courses effrénées du château au monastère et du monastère au château (et ainsi de suite).
Strawberry Hill, le château gothique (reconstitué) d'Horace Walpole