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Ce que dit Rose
8 août 2009

L’anti-Twilight (Eté et science-fiction – 4)

Je ne suis pas sûre que Robert Silverberg serait très satisfait de mon titre, mais en lisant sa novella Né avec les morts, je n’ai pu m’empêcher d’établir quelques comparaisons avec la saga de Stephenie Meyer.

Jugez plutôt : Jorge Klein a perdu son épouse Sibylle depuis quelques années lorsqu’il apprend qu’elle est en route pour Zanzibar, archipel au large de la Tanzanie sur l’histoire duquel Sibylle écrivait sa thèse lorsqu’elle a été fauchée par la mort. Que les choses soient claires : il n’y a pas eu méprise et Sibylle est bien morte, mais dans les années 90 que décrit la novella (écrite en 1973) les défunts peuvent demander à être ranimés. Jusque-là ils ne sortaient pas des Villes Froides, des sortes de ghettos où ils s’enfermaient. Mais les mœurs évoluant, voilà les morts se mettant au tourisme posthume. En effet Sibylle entend bien continuer ses recherches par-delà la mort. Maintenant elle a tout son temps. Elle est accompagnée partout par Zacharias, un archéologue fasciné par les sépultures pré-colombiennes. Jorge, inconsolable de la disparition de celle dont il était inséparable, décide de tenter d’entrer en contact avec elle par-delà la mort et, qui sait, de la reconquérir…

Un vivant amoureux d’une morte à « l’air marmoréen », décrite comme une déesse, une « pâle silhouette scintillante » (c’est ainsi que l’a rendue la mort), cela ne vous rappelle rien ? Si la mort sublime la beauté des défunts, ceux-ci suscitent cependant chez les vivants un grand malaise, à cause de leur regard vague, de leur calme et de leur détachement supérieur. Pour les morts, comme l’explique à Jorge un chercheur qui s’est spécialisé dans l’étude de leur sous-culture, la réalité est une blague sans importance, un jeu. Ils ne s’inquiètent plus pour des futilités (vanitas vanitatum). Et ils reconstituent après leur mort des pseudo-familles par affinités. Ils peuvent même avoir une sorte de sexualité (mystérieuse, cependant). Ils ont des loisirs, un peu particuliers certes, puisqu’ils chassent en Afrique, dans une réserve qui leur est spécialement destinée, des animaux disparus recréés par la science. Ils ont leurs codes langagiers, un parler bref, dénué des circonlocutions inutiles. Ils sont fascinés (en tout cas le groupe de Sibylle) par la mort et la disparition.

Il s’agit donc d’un récit d’anticipation qui imagine une société ayant brisé la fatalité de la mort, sans que les deux communautés (morts et vivants) soient cependant vraiment appelées à se côtoyer. Le récit d’amour prend sa source dans les nouvelles fantastiques où un veuf désespéré croit revoir le fantôme de la disparue, mais le rapprochement avec Twilight est tout de même saisissant, non ? sauf que les morts ne deviennent pas des vampires, et qu’ils mangent, eux. Pas des vampires ? cela reste à voir, en fait...

Toujours est-il que le but de Robert Silverberg n’est pas seulement de nous émouvoir par cette histoire d’amour impossible (heureusement, car la seule scène assez maladroite du livre relate la première rencontre de Jorge et Sibylle…). La novella nous plonge dans cet univers futuriste et par le biais de Jorge nous découvrons le monde des morts (la narration étant discontinue, il arrive que l’on suive aussi Sibylle dans cet univers étrangement gris et ouaté de l’au-delà). C’est beau, étrange, assez angoissant. Mais il s’agit aussi d’une réflexion sociale : la société des morts est présentée comme une sous-culture engendrant sa propre économie et débordant peu à peu du cadre où on l’avait cantonnée. Cette micro-société amenée à s’étoffer inexorablement évoque un mélange de ghetto pour minorité et de maison de retraite. Quand elle investit le monde des vivants, le malaise règne ; frilosité par rapport à l’autre ? coexistence pacifique ? mais que faire quand les deux sociétés amenées à vivre côte à côte sont si nettement incompatibles ? quand la sous-culture des morts entend n’être troublée en rien par le monde des vivants ? Certaines questions restent en suspens (d’où vient l’argent des morts ?) mais l’exposé des conséquences de cette pratique de « ranimation » des morts n’en est pas moins passionnant.

Quant au dénouement, il mettra à mal les rêves romantiques de réunion des amants par-delà la mort et d’amour éternel…

Vous comprendrez ce qui m’a attirée dans ce recueil de novellas (je n’ai pas encore lu les autres) avec cette couverture si pompéienne !

n__avec_les_morts

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Commentaires
R
Couleurs un peu exagérées mais idée séduisante ;) une nouvelle vision des Enfers...
P
Tiens tiens, couverture alléchante en effet :) Et texte tout aussi intéressant visiblement. Je vais tacher de découvrir cet auteur.
R
Chiffonnette : cette première incursion dans son oeuvre m'a tout à fait convaincue. "Monades urbaines" ou "oreille interne" à venir, je pense !<br /> <br /> Karine :) : attention, attention ;) "marmoréen" n'est employé qu'une fois par Silverberg, pas d'overdose en vue ! reste que je serais curieuse de savoir si S Meyer a lu cette nouvelle, les points communs dans les descriptions sont troublants (mais ils ne font pas du tout la même chose de leurs morts ranimés ensuite)
K
Ca semble passionnant, cette société. Je note tout de suite, bien entendu, malgré tous les "marmoréen"!
C
Je n'ai lu que les monades urbaines de Silverberg. Un très beau texte fourmillant de réflexions! Ma foi, je crois que je vais poursuivre la découverte de son oeuvre!
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