Elle était la reine de Montparnasse…
… et elle y a côtoyé les plus grands, Kisling, Foujita, Man Ray, Desnos ou Jean Cocteau. Elle fut leur modèle, leur muse, leur maîtresse. Elle était gaie (alors que son enfance la prédestinait à une existence terne d’enfant bâtard). Mais après le succès, la chute.
Le nom de Kiki de Montparnasse reste associé pour moi à une chanson de Juliette, Rimes féminines, dans laquelle elle fait la liste des femmes en lesquelles elle souhaiterait être réincarnée, si d’aventure elle pouvait choisir. La liste est longue, certains noms me sont restés inconnus, mais je me souviens très bien que c’est un peu grâce à Juliette que j’ai lu Lou Andréas-Salomé ou Anaïs Nin. Elle fait rimer Maria Callas et Kiki de Montparnasse, bien que leurs répertoires aient été pour le moins différents…
Le roman graphique de Catel & Bocquet qui reprend en couverture le célèbre « Violon d’Ingres », la photographie de Man Ray qui transforme le corps de Kiki en violon, la sublimant en égérie et en amante, entend faire connaître cette « figure » du Montparnasse des Années folles. Sa vie était son œuvre, elle a laissé des mémoires pleines d’anecdotes savoureuses. Hélas, comme le soulignait Ekwerkwe, le roman graphique peine à dépasser l’illustration méthodique des grands moments de la vie de Kiki. « Kiki, c’est Kiki ! » rappellent régulièrement les personnages, et on devine qu’il s’agissait d’une femme flamboyante. Mais Kiki n’est dans la BD qu’un personnage sympathique qui ne semble être qu’un instrument des révolutions artistiques, et dont le chemin vers la création ne nous est pas montré : Kiki va d’amant en amant, et accessoirement peint, écrit, chante, sans que cet aspect soit excessivement étudié.
Dommage que les auteurs n’aient pas choisi un parti-pris plus audacieux pour faire le portrait d’une femme que nous connaissons à travers des regards si divers. La BD n’en reste pas moins fort intéressante, mais plus comme une sorte de compte-rendu de la vie artistique de cette époque. Elle est dénuée de cette liberté qui semble si chère à Kiki. Et plus contrariant, à mon avis, elle abandonne Kiki à l’aube du déclin : les vingt dernières années de sa vie sont expédiées en deux chapitres, comme si Kiki n’existait que belle, entourée d’artistes, courtisée par tous. Quid de cet accordéoniste qui prit soin d’elle jusqu’à la fin ? On retrouve le même irritant désintérêt pour les figures de second plan dans les biographies de fin de volume : rien sur Maurice Mendjisky, le peintre qui la surnomma Kiki et avec lequel elle vécut quatre ans, alors qu'on nous présente Picasso, qu'elle ne fréquenta pas vraiment.
(Enfin, il faut tout de même reconnaître que la chronologie de la vie de Kiki et les biographies de ses contemporains m’ont beaucoup intéressée ; certaines sont fort bien écrites, et elles permettent de découvrir les personnalités attachantes de Foujita ou Kisling, ou la dernière histoire d’amour tragique de Modigliani.)
Un travail bien documenté, donc, mais un peu raté, qui nous berce de pas mal de clichés et ne transforme jamais la vie de Kiki en destin tragique, alors que c'est visiblement le projet des auteurs.